Ottavia Casagrande, l’auteure de « l’Espion inattendu », récemment publié […]
Ottavia Casagrande, l’auteure de « l’Espion inattendu », récemment publié en France, a été surprise par le confinement alors qu’elle se trouvait dans la région de Bergame (au nord de l’Italie). Elle a réagit en auteure et n’a pas laissé filer l’instant propice même si elle risquait sa vie. Elle écrit alors :
Fini le temps des concerts sur les balcons, des applaudissement, des hymnes nationaux. Même les mêmes humoristiques ont disparu de la circulation ! La première réaction des Italiens face au virus, vitale, énergique, parfois dédaigneuse ou moqueuse, a laissé place à une consternation léthargique, une confusion muette. Il fallait s’y attendre. A condition de conserver son sang-froid, l’urgence a ses avantages. Avec l’adrénaline dans le sang, le cerveau tourne à plein régime et les priorités sont claires : les malades, les lits, les respirateurs, les masques, les médecins, les mesures de confinement. On se soumet de bonne grâce aux restrictions. On ressent même un certain orgueil à se montrer – chacun à sa manière, et selon ses moyens – à la hauteur de la situation. Respectueux des règles, attentifs aux nouvelles, prêts à réagir, à se défendre, à s’adapter. Le nez dans le guidon, on vit dans l’instant présent, sans se retourner, sans regarder devant.
Mais maintenant, ce long tunnel de confinement commence à ressembler à une hibernation. Les murs de nos maisons deviennent insupportables. Ils brisent tout élan et toute perspective. Les doutes, les imprévus et les questions irrésolues paralysent la réflexion et la volonté. Le flux continuel d’informations contradictoires auquel il nous est impossible de donner un sens ou une logique ajoute lui aussi à l’exaspération. Les astronautes et les navigateurs en solitaire ont beau jeu de prodiguer des conseils sur la façon d’affronter l’isolement prolongé dans des espaces confinés. A ce qu’il paraît, une routine de fer, l’exercice physique, les repas réguliers et la méditation ne suffisent pas à venir à bout du sentiment de solitude.
Malgré les bonnes nouvelles contaminations, hospitalisations et décès en baisse, hourra ! diminution de la pollution ; animaux sauvages qui reprennent leurs droits dans nos villes désertées ; Union Européenne qui sort du coma – s’insinue dans nos esprits chancelants un nouveau, un terrible soupçon. Et s’il n’y avait pas d’après, de point final, un The end quand bien même pas du tout happy ? Peut-être que ce que nous sommes en train de vivre n’est pas une bande-annonce, mais le film lui-même. Un film qui va être long.
Pour éviter de nouvelles vagues de contamination, Hong Kong a annoncé un nouveau tour de vis. Tout comme la province chinoise de Henan, limitrophe de celle de Hubei, foyer de la contamination. Singapour ferme de nouveau ses frontières. A Pékin, où en ce moment il n’y a pas de restrictions, les restaurants demeurent vides. Personne n’ose s’y aventurer. Pendant que certains observent ce qui se passe en Italie, nous nous tournons vers l’Extrême-Orient comme vers une boule de cristal qui présagerait l’avenir. Un avenir que nous n’arrivons plus à imaginer.
Au-delà de cet antidote barbare aux relents médiévaux qu’est le confinement, dont on peut au mieux espérer qu’il ralentisse la course du virus, nous sommes dépourvus d’instruments pour en juguler la propagation. La vérité, c’est que pour vaincre cet organisme primaire, fruste, dernier degré de l’échelle de l’évolution qui a mis à genoux notre civilisation si avancée, si sophistiquée, si… nous n’avons encore élaboré aucune exit strategy. Une seule chose semble claire : nous devrons apprendre à cohabiter avec le virus, au moins jusqu’à la découverte du vaccin. Comment ? On n’en sait rien. Se tenir à un mètre des autres dans les restaurants, au bar, dans le tramway ? Avoir toujours, dans le sac à main, un flacon de gel hydroalcoolique, entre le mascara et le rouge à lèvres? Des combinaisons isolantes pour chaque saison pendues dans l’armoire ? Et pourquoi pas signées par des créateurs, tant qu’on y est ?